Université Paris-Est Marne la Vallée Laboratoire Espaces éthiques et politiques Collège des Bernardins Département de recherche éthique biomédicale
Séminaire de recherche « Religion, éthique et médecine bio-tech »
Argumentaire
La médecine occidentale est aujourd’hui confrontée à trois situations nouvelles qui
D’une part, les patients — mais aussi des médecins et des soignants — viennent
d’horizons culturels et religieux divers, et présentent des compréhensions du corps et de la maladie façonnées par leurs représentations religieuses. Cette pluralité colore aussi le débat éthique, car la figure de l’absolu que nous sollicitons dans nos décisions les influence nécessairement.
D’autre part, nombreux sont ceux qui font appel à des thérapeutiques dites
« alternatives », ou adoptent des types de comportement (par exemple marqués d'écologisme radical, etc.) confinant à la religion de substitution. Or même si nombre de pays ont décidé d'évacuer le religieux, ne fût-ce qu'en prônant un modèle de médecine tenu pour strictement rationnel, scientifique et technique, il est pourtant toujours présent, souvent sous forme inconsciente. Il est clair que bien des appels adressés à la médecine, notamment aux « psys », concernent le religieux.
A cela s’ajoutent les progrès considérables de la médecine bio-technicienne, qui peuvent
inciter le médecin à l’hubris, et le patient à attendre de ce dernier qu’il le fasse échapper à ses limites. Ce qu'on constate dans ces demandes nouvelles, nourries d'un désir illimité, qui se font jour dans la volonté de maîtriser la vie de la naissance à la mort, que l'on veut choisies et non subies, surtout pas données. Nouvelle naissance, nouvelle mort, nouvelle vie, voire métamorphose de la condition humaine en vue d'une posthumanité sont les produits d'un désir illimité de « santé parfaite » qui a, sur le mode de la transgression, rapport direct au religieux comme aux religions.
Entre sauvetage et salut, la médecine a toujours conservé des liens avec le religieux. Elle
en a encore plus, mais négativement, quand elle réduit le second au premier, au point de devenir elle-même religion de substitution. Il ne s’agira pas dans ce séminaire de faire un catalogue des « avis des religions sur l’éthique », mais plutôt, à partir de telle ou telle question d’éthique médicale, de confronter l’éthique aux religions comme au religieux, la distinction entre les deux étant de première importance. Les questions abordées pourraient être les suivantes :
— la question du sauvetage et du salut : deux concepts originairement liées dans
l'Antiquité (soter), séparés à partir de la révolution hippocratique et le renouvellement des thématiques par le christianisme, mais qui se croisent à nouveau depuis qu'une certaine médecine (ou plutôt l'idéologie qui l'accompagne) prétend faire œuvre de salut. Ceci nous renvoie bien sûr à certains passages de Bacon et Descartes, à la base d'un certain progressisme
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illimité, comme à des projets actuels (dont l'immortalité, aussi la transfiguration de la condition humaine, etc.). Dès lors on obtient des pratiques et des praticiens en accord avec ce type de demandes, et une forme de religieux sauvage peut s'épanouir de multiples façons. Ceci vaut pour la biomédecine scientifique, mais aussi pour les formes alternatives de « médecine », bios ou autres, sectaires ou pas ;
— la question de la primauté de l'éthique ou de la religion en ce qui concerne les
principes directeurs de l'action humaine. C'est un énorme dossier philosophique et théologique, depuis que le Décalogue existe (la morale laïque et philosophique le reprenant pour l'essentiel). Kierkegaard dissociait résolument l'éthique et le religieux, Hans Jonas défend la prééminence de l'éthique pour l'éthique dite de l'avenir, Levinas nous plonge parfois dans l'embarras…
— la question de la rationalité mobilisée par la médecine, qui ne saurait se réduire à la
rationalité restreinte de la médecine scientifique (cf. conférence de Husserl, 1935, les textes de von Weizsäcker et bien d'autres), ce qui conduit à s'interroger sur la rationalité non réduite et non réductrice que revendique la philosophie, bien sûr, mais aussi le christianisme occidental, comme aussi, à sa manière, la médecine traditionnelle (africaine, chinoise, etc.). (Cf. travaux des jésuites Éric de Rosny, ou Meinrad Hebga, récemment disparus). A cette question s’ajoute la rationalité à l'œuvre en éthique, la tradition de l'Europe se confrontant à une position largement partagée par l'Amérique du Nord en dehors des cercles laïcistes, libéraux et libertariens : l'assimilation de l'éthique médicale à une sous-section de la théologie morale.
— les délires prométhéens de la médecine devenue extra-médicale (car si elle cesse de
se préoccuper du seul pâtir humain pour envisager d'autres fins, elle sort de ses limites et de son champ et cesse ipso facto d'être médecine). La loi de 2011 relative à la bioéthique demande au gouvernement un rapport public « portant sur les enjeux éthiques des sciences émergentes, et notamment de la convergence entre les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives ». Ce texte témoigne d’une prise de conscience de l’importance du projet de convergence « NBIC » exprimé officiellement pour la première fois dans un rapport de la Fondation américaine pour la science (NSF) de 2002, intitulé « Converging Technologies for Improving Human Performances ». Le titre même du rapport l’indique, cette convergence pose effectivement des questions morales à travers le projet qui la porte d’augmenter les performances de l’homme. S’agit-il tout d’abord d’une simple application des technosciences à une dynamique habituelle ? Quelle différence qualitative entre la consommation de café et celle du modafinil pour se tenir éveillé et apte au travail ? Par ailleurs jusqu’où peut-on traiter, réguler voire prévenir certains comportements par les stimulations pharmacologiques ou l’utilisation d’implants cérébraux ? Faut-il administrer du Prozac à toutes les petites filles dépressives et de la Ritaline à tous les petits garçons agités, voire chercher à dépister chez ces derniers les futurs délinquants ? Faut-il scanner le cerveau des criminels pour savoir s'ils seront susceptibles de remises de peine ?
— Plus en profondeur, c’est bien sûr la vision de l’homme qui est en cause. Or, le
développement de la « bioéthique » tend à véhiculer une vision mécaniciste de l’homme. Le refus de la notion de nature humaine et l’évacuation de toute transcendance conduit à l’effacement de toute limite dans la transformation biotechnologique de l’humain. Dans un tel contexte, avec comme idéal la « Grande Santé » devenue « santé parfaite », on voit apparaître l'idée de métamorphose de la condition humaine, le transhumanisme apparaissant comme expression extrême de ce projet. Le déploiement des nanotechnologies, apparemment plus modeste, couvert par divers alibis thérapeutiques contre lesquels il n'y a d'ailleurs rien à dire, suggère de son côté que le temps des prothèses techniques permettant de renaturer la nature défaillante doit céder la place à celui des implants, capables de démultiplier ou transformer les
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capacités humaines. On passe alors de la médicalisation de l'être humain à sa technicisation (thème du cyborg).
Le domaine des techno-sciences est ainsi l'un des champs majeurs où se joue aujourd’hui
le choix entre une anthropologie de la maîtrise et une anthropologie du don. A ce titre, la sagesse chrétienne est directement interpellée, elle qui confesse le don au cœur de la vie trinitaire : l’« homme nouveau » dont parle l’Écriture, est ce homme qui vit sous la mouvance de l’Esprit qui le met à l’école du Christ dont la gloire est l’aboutissement d’un chemin d’humilité dans la remise de soi au Père.
Mais faut-il suivre Marcel Gaucher qui fait du christianisme à notre époque sécularisée la
religion de la sortie de la religion ? En ce cas vers quoi d'autre ? Retournerait-on alors aux formes antérieures du religieux ?), et indiquer d'autre part que ce qu'introduit ici le christianisme est l'occasion de reprises étonnamment fertiles (chez Bruaire, où le don ontologique est au fond de l'obligation morale, sans que le discours philosophique soit en mesure de dire qui donne, et comment ; chez Girard, qui en tire une anthropologie qui est confrontée à deux grands choix : ou la voie sacrificielle, ou celle de l'amour).
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Le Séminaires ont lieu au Collège des Bernardins,
Mercredi 14 Novembre 2012 : Dominique Folscheid : Francis Bacon : la nouvelle Atlantide. Mercredi 12 Décembre 2012 : Olivier Rey : Ethique et technique. Mercredi 16 Janvier 2013 : David Smadja : Hans Jonas : éthique et religion. Mercredi 13 Février 2013 : Lucien Sfez : La santé parfaite Mercredi 20 Mars 2013 :
Brice de Malherbe : L’homme nouveau, utopie de la bioéthique.
David Le Breton : L’adieu au corps
Benoit Bayle : Les dogmes de la procréatique
Monette Vacquin : De la Genèse à la génétique.
Afin de vous donner une idée, nous pensons aussi aborder (mais c’est encore peu
élaboré) durant l’année suivante (2013-2014) : - Platon et les thérapeutes (intervenants pressentis, Bertrand Quentin, Isabelle Blondiaux) - Foi et raison : le rôle de la Réforme. (Xavier Dijon) - Les religions qui guérissent ? - L’ethno- psychiatrie (Tobie Nathan ?) - Les religions face aux défis de la médecine biotech : (Gilles Bernheim ?, un représentant de l’Islam)- Le droit - La fin de vie - Les nouvelles technologies « NBIC » - La logothérapie deVictor Frankl - Le remodelage généralisé du vivant Louise Vandelac
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